Il n'y a pas
Il n’y a pas.
Pas d’expérience de ça.
Pas d’idée de ce qui peut se tramer.
Les livres d’histoire racontent des histoires.
Les enfants les ingurgitent, les enregistrent, les redisent et sont notés dessus.
Puis ils passent à autre chose.
Les informations à la télé et sur les tablettes disent une vie âpre où les gens pleurent.
Parce que leurs amours sont défaites, démembrées, brûlées, tordues de douleur, mortes.
Les enfants les regardent puis ils rallument leurs jeux et passent à la vraie vie.
Les ambulances hurlent dans la rue car il y a des péritonites qui exigent de foncer.
Pour sauver des patients insouciants, faire naitre des bébés venus trop tôt, alléger la douleur d’une chute de vieille dame dans une cage d’escalier.
…
Vendredi 13 novembre 2015.
Je ne le sentais pas.
Depuis la magie noire de Malaisie, depuis les oracles de Bombay, j’ai toujours un serrement de cœur ces matins de Vendredi 13.
Faire gaffe, ne pas ouvrir trop tôt son ordi.
Laisser courir ses yeux dans le ciel radieux d’un automne dérangé que l’on essaiera de régler dans trois semaines à Paris.
Pour que les automnes ressemblent à des automnes et que les hivers donnent leur neige.
Or, tout est allé mal.
Effectivement.
Et le soir ce fut pire.
Les textos sont arrivés.
On a allumé les écrans. On a vu. Quinze morts. On s’est dit, les salauds, ils arrivent.
Faux de dire qu’on n’avait pas d’idée que ça se préparait.
On avait lu.
Tellement d’interviews de flics, de premiers ministres.
Qui disaient gare. Prendre garde. Etre prêt.
Le livre d’histoire s’est ouvert.
Faux de dire que les livres d’histoire ne racontent que des histoires.
Les enfants ont écrit pour leurs enfants.
Et la France s’est arrêtée.
Et le monde a regardé les écrans.
Ecrans de poche, écran de télé, écrans de rue. De New York à Sydney.
Partout, jusqu’à Kangnichumike peut-être, si ce lieu existe bien.
Tout a crépité.
Tout a trépigné.
Compassion, consternation, convulsions.
Larmes qui roulent doucement.
Envie de crier, de savoir, de maitriser, de vérifier, de téléphoner, d’envoyer des textos, de se rassurer.
Le livre d’histoire a tourné les pages, minute après minute.
Jusqu’à 129 morts, 352 blessés.
On a inventé l’ « urgence absolue ». On ne l’avait jamais entendue : 99 peut-être.
On s’est souvenu de cette marche historique.
Déjà les manuels scolaires racontent : 3 millions de personnes dans les rues de Paris, le 11 janvier 2015.
Le 11 Janvier désormais, avec une majuscule.
Comme un 11 Novembre, jour des morts de la boue des tranchées.
Dans la rue, les complaintes bruyantes, celles des ambulances, celles des pompiers, celles des flics.
Faux de croire que les ambulances sont pour les bras cassés.
Je suis à cinq kilomètres, loin ?
On dirait que c’est l’attentat de Tati à nouveau, la porte à côté.
La station de RER de Port Royal, la porte à côté.
Celle de Saint Michel, la porte à côté.
Rue des Rosiers, rue Copernic. A peine plus loin.
Des explosifs, des Kalachnikovs, des grenades. Déjà.
Faux de dire que la menace est nouvelle.
Que leur détermination est pire.
Que les salauds sont plus atroces.
FNAC des Halles, quel lieu plus cool ?
Quels couloirs plus propices à l’évasion, au rêve de voyage ailleurs, au Moyen Orient, au soleil, au son du Muezzin, dans les bras de l’Islam.
FNAC des Halles. Touchée de plein fouet, comme Tati, Port Royal, Saint Michel, rue des Rosiers, rue Copernic.
C’était mon entrée dans l’âge adulte.
Aujourd’hui, Stade de France, rue de Charonne, Bataclan, La Bonne Bière, Le Petit Cambodge, Le Carillon, Comptoir Voltaire.
Tous le même soir.
Mes enfants entrent dans le monde réel.
Vrai, l’évocation d’Allah est plus évidente.
Elle fait souffrir tous ces musulmans et leurs amis, moi.
Qui voulons l’amour que cette religion aussi commande.
Merde, les barbus bâillonnent leurs femmes.
Merde, ils ne veulent pas que nous disions librement, que nous buvions librement, que nous baisions librement.
Il faut sortir, crier qu’on veut continuer.
Refaire Mai 68. Refaire le 11 Janvier.
Mais là c’est Tel Aviv. Pas le droit de se réunir jusqu’à jeudi. Trop dangereux.
Alors ?
Que faire ? Que dire ?
Souad, Gilles, Hadj, Rosna, Jamaliya, Amadou, mes amis musulmans, je pense à vous.
Plus encore qu’à mes amis cathos, hindouistes, bouddhistes, juifs, protestants.
Et ceux qui ne veulent pas de fous de Dieu ni de Dieu dans leur vie…