21 ans, 22 ans et demi
1983
En des temps reculés en des lieux reclus
Apparaissaient parfois de mornes perspectives
Mon amour comprenez qu’en ces temps révolus
Naissait et perdurait le rongeur de nos rives
L'ennui et le néant dans le grand entonnoir
De nos candeurs exacerbées a trouvé gîte
Et l’on nous dévore en silence chaque soir
De l'intérieur perfidement si l'on ne s'enfuit vite
1983
Comme les simagrées sont voisines de la vie
Comme à rêver tout nous ramène jusqu'à la nuit
Que j'aime à soulever dans l’éther nocturne
Le vague souvenir des rôles de mes vies.
Jouer et tromper, pleurer et rire à la fois
Sont les travaux de jour des êtres au cœur timide.
La force est aux faibles d'espoir, le rien aux autres
Et qui croit tenir le bonheur sans appétit
Ne sait qu'il aura faim à son heure dernière.
Les vils verront donc l’irrecevabilité
De leurs plaintes tardives. Comme un boulet carré
Ils devront derrière eux, revanche des âmes pures
Traîner jusqu'en Hadès leur triste insouciance.
Oh que jamais ne progresse la cordée valide
De nos creux ennemis aux tentacules flasques
Et que règnent en nos murs, dépouillés, les doigts nus,
La folie saine et sainte des vierges d’optimisme.
Que triomphe le noir sur fond de piaule grise
Et miaule qui puisse, il est bientôt trop tard.
Trop tard avec amour, demain ou bien ailleurs,
Il ne servira plus de gémir en silence
Et de brailler de solitude doucement
Sans même y croire. Trop tard, vaniteux Messieurs,
Vous déraillez déjà et c'est la première plaie.
1983
L'ombre jumelle du plaisir semble sous cape
Murmurer « Que j'aime ». Mais déjà dans les cœurs
Les fragrances nocturnes ont tissé le treillis
D'un désir endiablé que nul ne réfrènera,
Pas même le cliquetis sans faille du bourdon
Non plus la voisine qui brame à son époux
Qu’ont emmuré les ans. Ni le feu, ni les pas,
Ni le chatoiement glauque des lueurs matinales
Ne viendront dénouer dans leur lit les amants.
Paris, 16 mars 1984
Dans la plénitude morose de la nuit
En a un cortège étoilé me sont apparues
Les vanités insoutenables des pieux ennuis.
Agenouillés, tordus, déchirés, les mains nues,
Ces êtres de néant avaient le cœur aux lèvres.
Joies, désir et passion, tout leur était remède
Quand la denrée divine m'écorche la plèvre,
Que rien ne me concède jamais aucun répit.
Tandis que l'humaine nuée sombre entrevoit
La lumière des âges à venir, je flétris
Et, malheureux esclave de mon cœur fait roi
Je ne puis contempler qu'un rayon qui sourit
Et se moque en secret des humaines détresses.
Debout mon corps et que resplendisse la nuit
Le généreux ostensoir des ardeurs humaines
Que siffle en mes vaisseaux le sang du condamné,
Unique quintessence des êtres aux âmes pleines
Qui savent que le ciel n'a point eu de parents.
21 ans
Paris, 19 avril 1984
Il est des heures nocturnes
Où le cœur compressé
En ivresse coquine
Transforme les amours.
Enchaîné, gourd et lourd,
Le muscle semble alors
Crier au ciel la haine
Des platitudes terrestres.
Et dans l’âtre tournoie
Comme l'oiseau sur l’onde
L'infinie quiétude
Des conspirations mornes.
Le dessein de nos corps
En grandes arabesques
Infléchit nos tourments,
Aplanit nos vertus.
L'être aimé dit aux sages :
« Il est trop tard pour vous,
Au rancart de vos joies
J'ai rangé mon délire ».
Sachez, seigneurs des sens,
Que la rébellion
Aura raison des sages.
Son flambeau décrépit
En un cortège rieur
Grimace et tord la bouche
A vos sérieux funestes
Et murmure en silence
Dans la nuit qui chemine
Le doux refrain rêveur
Des êtres au corps géant.
Que j'enfle et craque et rompe
Empli de l'air vicié
Des amours étanchées.
Ma soif enfin repue,
Je cracherai le feu
Du brasier délicat
Des amours dépensées.
Et je paierai mon dû
En nature s’il me plaît
A l’amertume vulgaire
Des êtres aux dents pourries
Qui font claquer dans l'air
Le tympan de leur gueule
Et diffusent en nos âmes
Le savoir fastidieux
De morales déchues
Et d’immorales peines.
Ivre mort apaisé,
Contemplant et riant,
Je suis votre folie
Et très sournoisement
M’immisce en vos sens
Et donne aux choses le nom
Qui désormais dira
Le chiffre de vos corps.
21 ans, plus tard dans la soirée
19 avril 1984
De l'intérieur pourraient jaillir
A l'extérieur pourraient pourrir
Pour la terrine en jobardise
Des lampadaires joueront les nuits
Jadis à l’heure paillarde et jeune
Jouissaient très peu de zibelines
Parfois pourtant lançaient leur joie
Il faut finir déjà.
Tous en catimini minimisent leur joie
Toits, mamans trop calines, et Trajan restauré
Tous et toutes ministres cabrioleraient
Contenant les mimiques des jurés trop nus
Et claqueraient en jurant les jeunes latrines
Il faut finir déjà.
Luxun xuexi shenme ?
L’usure sait si je l'aime
L’azur saisit l'amour
Il faut finir déjà.
L’if fait figure d'orgeat
Il faut finir déjà.
Eté 1984
(Texte à demi brûlé)
Il pleut sur mon cœur en été
Des larmes de peur et de froid
Il faudra bien que l'on débatte
Des amertumes veules enfin
Et du chagrin de dire en vain
Le récit des cœurs alourdis.
Sponge et ronge et plonge en silence
Mon cœur dans l'onde amère, lente
Et rompt et songe et méprise
Le quotidien chemin des routes
De nos âmes.
Contemplons ensemble
La devanture trop humaine
Du magasin des autres êtres.
7 décembre 1984
Il faisait tendre et plein d'audace
Savoir nos cœurs enchevêtrés
Sans compter dans l’éther fugace
Le son étoilé des baisers.
Tu m'avais offert, rappelle-toi,
Les fruits généreux du matin.
Tout sur les pavés et les toits
Respirer l'odeur des putains.
Je t'avais eue, t'en souvient-il,
Sans dollar ni monnaie, amis
Et seule ta voix de Sibylle
M'avait instruit de ta magie.
En d'autres temps, en d'autres lieux
Tu savais déjà ton pouvoir
Et si quelques fois dans tes yeux
Me déroutait le désespoir
Tu me confiais à l'oreille
En un malicieux clin d'œil :
« C'est toujours de la mort qui m'éveille,
Rose fanée sans qu’on la cueille.
Mais la mort est source de vie,
Avec elle ils ont tous flirté
Ceux qui m’ont eue sont trop ainsi :
Ils ignorent ce qu'elle m'a coûté ».
Car cette femme était le cri
Que depuis lors je pousse en songe
De la fortune des maris
Que dans les ténèbres l'on ronge
Et qui, assez piteusement
N'en finissent pas de pleurer.
Je sais désormais qu'il est lent
Le chemin des défunts baisers
Et comme un boulet dans la bouche
Je supporterai l’âcre humeur
De mes folles nuits sur la couche
De cette femme de malheur.
22 ans et demi
19 octobre 1985
Ce bout de moi qui reposait dans la poussière
Je l'embrasse ce soir de m'offrir du répit
Sempiternellement je devrai donc conter mon cœur au mien.
La vie me ferait radionavigateur
Ou bête de somme toute
En vers, toujours en vers.
Je repose au fond de moi.
Là-bas, j'ai vu, j'irai de nouveau.
La Chine en gris, l’Inde en doré,
Et Paris qui pleurniche et ne laisse pas de répit.
Et mes amis, où sont-ils ?
Où êtes-vous, cultivateurs du corps, diseurs de mauvaise grâce ?
Seul.
Nous sommes le 19 octobre. J'ai 22 ans et demi. Merci.
Ce chiffre ne raconte nullement les gouffres de mon âme
Ni les joies, ni la peine, ni la mort et la vie.
Mon papier, tu te laisses apprivoiser.
Mon âme, tu te laisses étancher.
Et moi, lyrique Tanguy Piole, je ferais bien un sourire
Mais j'embrasse l’humanité entière de me laisser parler
A moi-même
Du moins est-ce un être qui perçoit
Ce que tu peux imaginer.
Ainsi mes pas m’ont conduit où je désirais aller.
Ainsi ce soir mon âme divague-t-elle.
Le chiffre du hasard aurait pu être fatal.
Il ne l'est pas.
Je remercie le ciel, s’il m’entend.
Paris a froid.
La meute des sortards bougonne et se raidit.
As-tu entendu le cavalier courir, derrière son cheval
Au galop sous le ciel de la Seine ?
Ils plongeront sans doute quand, de tout leur saoul,
Ils auront consommé, digéré et admis.
Tu vois, mon cœur, Datong m'a appris
La poussière de notre cœur universel.
Je suis sec
Nous séchons.
Vous m’asséchez
Ils sont de mèche.
En moi-même replié
Je suggère à Satan de ne point trépigner.