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Mes yeux ne peuvent pas tout, histoires de ciné



A propos de Titane, tu avais trouvé tes amis de Facebook bien conservateurs. Une avalanche de critiques sans nuance. Toi, au moins tu avais vu Sharon Stone faire usage de son pic à glace, après cela tu n’aurais plus jamais peur. Et puis visionné avec dix ans de retard, un jour d’audace, Jane Birkin dirigée par Lars von Trier, la chute du bébé dans la neige, les amputations. Et aussi lu Sade puis vu, à dix-huit ans, Salo ou les 120 journées de Sodome ou encore Le Chien Andalou et son œil découpé par une lame de rasoir. Le matin tu t’étais chauffé avec La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi (il te faudra dire comme ce film t’a bouleversé, la famille du caïd qui le fait fondre dans l’humanité, celle du flic qui le mène au bord du précipice, la pendaison sans fard). La violence, tu savais comment la prendre.


Tu t’es assis pour la deuxième fois de la journée à l’UGC Les Halles et tu as revu les mêmes publicités pour les films à venir, et aussi les eskimos au chocolat. Quand la salle s’est assombrie, tu t’es calé dans le siège, tu étais prêt. Au début, tu savais que tu avais eu raison, que les jugements à l’emporte-pièce sur les choix éclectiques de Cannes étaient navrants de conformisme. Tu étais même en extase, l’esthétique de boîte de nuit, les cylindres rutilants de grosses bagnoles, les nanas dansant avec leurs fesses, et cette histoire de petite fille qui rend dingue son père au point qu’il perde le contrôle de sa voiture etc, c’était bon pour le cinéma.


Soudain, une bave blanchâtre a coulé de la bouche de la première victime, semblant venir directement de son cerveau, et là tu t’es retrouvé très jeune enfant à Tarragone, ce toro gigantesque laissant la même coulure s’échapper de son agonie en direct de la grande corrida du dimanche. Rapidement deux autres meurtres. Tu as réentendu les craquements de vertèbres des souris blanches qu’on te demandait d’écraser sur le coup des douze ans contre l’évier de granit du Club Jeunes et Nature dans ta banlieue de Grenoble pour commencer à nourrir de carne la buse variable blessée que tu avais allaitée jusqu’alors. Ta psy est en vacances, tu lui raconteras cela en septembre, ces souvenirs d’enfance ressurgis, tes mains devant les yeux, les auriculaires dans les oreilles, ton départ de la salle à n’en plus pouvoir de te protéger contre Julia Ducourneau. Elle t’avait pourtant tellement ému lors de sa remise de palme. Un discours à perdre le souffle pour dire qu’un film non conforme pouvait gagner, que c’était la vertu de Cannes, que ses parents avaient permis cette liberté. Elle leur disait merci comme une fillette. Tu avais été renvoyé à ta propre manière de gérer ta progéniture. Et Spike Lee de boire le petit lait de sa petite enfance, son chapeau sonnait juste comme dans une scène de Guignol lyonnais.


Regarder l’amour se faire avec une voiture et aimer l’avortement ensuite, penser à l’interruption de grossesse en quittant la séance, jouir de Paris en déréliction et de sa liberté de création, continuer à voter pour que cela dure. Je suis bien en automne à Paname en France en ce trois août 2021, merci le ciné et merci Mai 68. Il est interdit d’interdire, je ferai tout, encore et encore, pour que les spectateurs de mon usine à cinoche qui, aujourd’hui, se serraient les coudes et le reste dans la salle, continuent demain de s’y presser.


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