La poésie d’un monstre

Dans Les Madeleines, son second long métrage en forme de portrait (après Noël et sa mère en 2021), Arthur Dreyfus fait à nouveau rire et s’émouvoir. Face caméra, les yeux brillants de lubricité, le mystérieux Stéphane-Jacques se confie avec délectation. Enfant de cinquante-cinq ans, rigolard à l’évocation de ses souvenirs de baise dans les backrooms, il assure n’avoir jamais « fait l’amour ». Dès lors, l’apparition d’un certain Denis étonne : on apprend qu’il est l’homme de sa vie depuis vingt-huit ans, que les deux se font du bien en se blottissant l’un contre l’autre. Autre étrangeté : alors qu’en début de film Stéphane-Jacques hait autant sa mère (Madeleine) que son père, il assume ensuite l’adoration de sa génitrice. Commentant les tableaux et photos meublant son appartement, l’aristo soupire de l’ennui que lui procure l’existence. Elle n’est pas un long fleuve tranquille. Le sida lui est tombé dessus à vingt-quatre ans. L’évocation de son Kaposi est glaçante, sa mère l’a sauvé avec un traitement à la cortisone avant que n’arrivent la bithérapie puis la trithérapie. Ouf, une authentique souffrance, les yeux de Stéphane-Jacques savent aussi briller d’émotion, je le pensais pur freak [freak \fʁik\ masculin (Anglicisme) (Familier) (Populaire) Personne particulièrement vigoureuse, monstre, phénomène de foire, curiosité]. Même (surtout ?) avec un tel personnage, Arthur Dreyfus démontre son talent d’accoucheur de poésie. Sans doute l’irruption du cinéaste-écrivain-magicien dans la vie de Stéphane-Jacques à l’heure du thé et des madeleines l’a-t-elle comblé pendant la centaine d’heures de tournage. Mais, lassé ensuite par la longue attente des premiers rushes, il s’est crispé, raconte Arthur Dreyfus dans une séance de question / réponses au Festival Chéries Chéris, et n’a jamais visionné le film. Rien d’étonnant ai-je pensé, le mec ne gère pas sa propre vie, comment saurait-il gérer le lien avec Arthur Dreyfus ? Après tout, l’homme du Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui n’est pas non plus une piece of cake. Et c’est pour ça qu’on l’aime.