De Carrère à Serebrennikov, Limonov, salaud magnifique
Limonov, la ballade, le nouveau film de Kirill Serebrennikov, est fort comme sa bande son à base de Lou Reed et de rock and roll. Artistes et musiciens se déploient sans pudeur dans le monde interlope de l’URSS. Le chaos y est merveilleux, tout ou presque y est permis tant qu’on n’est pas dénoncé. Interprété par l’admirable Ben Whishaw, anarchiste, libertaire, déjanté, drogué, le personnage d’Édouard Limonov revendique sa part d’obscurité. Dans le Manhattan des années 70 où il se réfugie avant que les choses tournent au vinaigre, il trouve la voie en se faisant enculer par un Noir sdf et bien monté. De retour dans son pays avec le statut de guest star, il se vantera de cet acte fondateur qu’il recommandera à ses groupies. Dans un quasi-caméo, Emmanuel Carrère joue un petit rôle dans le film de Serebrennikov : un journaliste venu interviewer la star. Il a également contribué au film en tant que consultant. Nul doute que l’auteur du puissant Limonov, prix Renaudot 2011, retrouvera dans le film librement adapté de son roman l’évocation de l’âme russe et la folie du personnage qu’il avait si bien su capter. Disparu en 2020, le vrai Édouard Limonov, fondateur et chef du Parti national-bolchévique, poutiniste après avoir été anti-Poutine et avoir connu le goulag post-soviétique, n’avait pas souhaité donner son opinion sur le livre de Carrère. En 2011, dans une interview titrée Limonov, salaud magnifique, il confiait au Point à propos d’Emmanuel Carrère : « Même son idée folle de faire un livre sur ma vie indique qu'il n'est pas un écrivain ordinaire. Il est spécial, un type à part. » Limonov n’est plus là pour nous dire ce qu’il pense de Limonov, la ballade. Peut-être que Serebrennikov, comme Carrère (et comme lui) est un type à part ? De mon point de vue, à n’en pas douter.
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